Avec le départ de monseigneur André Reyne, le diocèse d’Avignon est touché dans son être profond, non pas une simple entité territoriale, objet d’une administration passe-partout, mais d’abord une famille avec son histoire, ses richesses, ses personnalités qui lui donnent un visage particulier. Or la personnalité de celui qui fait sa « despartido » est bien riche. Quel en est le ressort ? La vérité se suffit à elle-même.
Mgr Reyne aimera sa terre natale, Vedène en particulier, ou sa famille est représentée depuis le XVIe siècle. Il maîtrisait parfaitement la langue provençale et ses réactions étaient imprégnées d’une vraie culture comtadine dans ce qui touche à la cuisine, les coutumes, les fêtes, la littérature, la flore, avec l’assaisonnement d’un humour un tan sié pau boustiguejaïre… l’Église associe toujours Foi et culture. Homme cultivé, pour le coup, il l’était grandement ! Non pas un amas de connaissances encombrantes, mais l’imprégnation des choses de la vie par des références immédiates à l’intelligence, au bien, au beau, au vrai, à la foi. Cela va si bien avec la religion du Dieu fait homme, chez les hommes ! Il avait un goût marqué pour l’Histoire, maîtresse d’expérience et de sagesse dans le temps et le présent. Elle pousse à cultiver les racines, pas seulement les feuilles qui passent. Elle est gage d’avancées solides.
Il dira toujours combien il avait été marqué par sa formation sulpicienne, aux petit et grand séminaires d’Avignon. Il vénérait Mgr de Llobet qui l’aurait envoyé à Rome, si ce n’était la guerre. Il regardait Mr Moreton, son supérieur avec une admiration respectueuse pour sa culture et sa pédagogie des hommes. (Les deux vont toujours ensemble !). Il taquinait (boustigueja) les pères Lortal, Peyre…. avec ses confrères, les P. Chave, Arnaud, Brécieux, Rouy… Dès cette époque, il fit partie d’un groupe de spiritualité de saint François de Sales. Séminariste en pleine guerre mondiale, l’expérience du Service du Travail Obligatoire va lui donner les bases d’une maturité et une sagesse qui conditionneront son être et les responsabilités nombreuses qu’il aura à assumer par la suite. On peut reconnaitre chez lui une honnêteté humaine, intellectuelle et spirituelle véritables.
En 1945, tout jeune prêtre, il est nommé dans la paroisse ou « règne » Mr Méritan, curé redouté d’Orange. L’aplomb respectueux du jeune vicaire, lui amènera la confiance de son curé qui l’invitera à prêcher souvent le dimanche. C’est l’époque ou il souscrit à la parution de la Bible Pirot, en 13 volumes et en 2015, il écrira sur la page de garde du tome I : « Je m’en suis servi jusqu’à aujourd’hui ». L’usure des reliures est éloquente. Ce parfum, ce suintement de l’Évangile vécu transparaissait dans le respect de Dieu dans son mystère, (un mot usuel chez lui) et sa considération immédiate de l’autre quel qu’il soit. Saint François de Sales son maître, disait : « Mettez la charité dans l’âme, tout lui sert. Ôtez la charité de l’âme, tout s’y perd ». Il est vrai que l’amour, rend vertueux tout acte humain accompli dans l’intention de plaire à Dieu.
Suis-je en train de tomber dans ce que nous refuserions tous, ici : Les flatteries, les simplifications trop faciles sous prétexte de rendre hommage ? Non ! Salésien et homme réaliste, Mgr Reyne disait qu’il n’était pas sorti d’une fabrique d’Immaculée Conception. Il n’y en a qu’une, qu’il chantait volontiers avec l’ode à l’Immaculée de Frédéric Mistral, retraduite par ses soins. Il se reconnaissait pêcheur. Son approche du sacrement du pardon était régulière, surtout lorsqu’il devait recevoir une âme en difficulté. « Que Dieu me fasse la grâce de ne pas gêner son œuvre par ma faiblesse » disait-il ! C’est dans cette vérité sur lui-même et devant Dieu, qu’il trouvera cette capacité étonnante de rendre courage au pêcheur et le pousser à grandir dans la foi.
La dimension culturelle a été suffisamment soulignée. Mais la spirituelle était fondamentale à sa personnalité. Ayant eu des réussites incontestables dans l’Action Catholique, des grandes difficultés dans le contexte difficile de la vie de l’Église des années 1970, Mgr Reyne nous rappelle que le sacerdoce n’est pas seulement une fonction honorifique, sociologique, gestionnaire ou communicante, mais un don de l’Esprit Saint ; une consécration au Christ comme docteur, prêtre et pasteur, pour la mission et la vitalité du peuple de Dieu sur le terrain réel. Nos limites, nos faiblesses, ne peuvent empêcher le travail de la grâce. L’humble fidélité, l’esprit de sacrifice, le don généreux de soi, est le terreau de la sainteté du prêtre. Elle grandit au fur et à mesure de la prise de conscience que nous avons à nous donner pour mieux recevoir et recevoir pour mieux donner. Voilà, ce dont Dieu se sert pour être lui-même le premier évangélisateur, le premier missionnaire.
Sa belle stature pouvait impressionner au premier abord. Pourtant il y avait toujours chez lui, un a-priori de la confiance, un subtil soutien qui fait grandir. C’est le propre des bons pasteurs de l’Évangile. Les personnes qui venaient le voir, quelques jours avant son décès encore, se savaient considérées pour elles-mêmes, non pas jugées mais comprises. Le secret des âmes de cette trempe ? La bonté. La bonté comme reflet d’un Dieu qui est bon en Lui-même, parce qu’il est amour. La bonté comme appel discret à reconnaître une âme toute à Dieu, dans une expérience d’intimité quotidienne. L’amour de Dieu finalement, et non pas seulement de belles choses débitées sur lui, qui pourraient remplir la tête de paroles et embrouiller les consciences. M’interrogeant sur mes premières prédications de Jeune vicaire à Valréas, il me dit un jour le mot de saint François de Sales : « Je souhaiterais un peu moins de science qui enfle et un peu plus de charité qui édifie ; un peu moins de suffisance et un peu plus d’humilité ».
Au fond, il avait une recherche sincère de la vertu-reine à la vie intérieure, l’Humilité. C’est elle qui lui donnera de ne jamais perdre l’orientation en Dieu, malgré les coups durs, les bassesses, les violences de la vie. Il avait souligné ces mots de St Grégoire le Gd sur le livre de Job : « La sagesse des justes consiste à ne rien inventer pour se faire valoir, à livrer sa pensée dans ses paroles, à aimer la vérité comme elle est, à fuir la fausseté, à faire le bien gratuitement, à préférer supporter le mal plutôt que de le faire, à ne jamais chercher à se venger d’une offense, à considérer comme un bénéfice l’insulte qu’on reçoit pour la vérité ». Plus il voyait les années s’ajouter à une suite déjà longue, plus il se livrait au dépouillement intérieur et la présence de Dieu. Il en était illuminé, purifié, pacifié. Ses épreuves, ses larmes étaient offertes pour le diocèse et son pasteur, le presbytérium, les vocations. Aucun chemin d’épreuve n’est inutile, s’il est parcouru avec le Seigneur. Il acceptait en silence de foi une inutilité apparente pour achever ce qui manque à la passion du Christ, pour son corps qui est l’Église (Col. 1,24.). André Reyne, a été fondamentalement prêtre.
Le suaviter et fortiter de la vie de Mgr Reyne nous fait prendre pour nôtres les mots de saint François de Sales : « Il faut se contenter de savoir que l’on fait bien par Celui qui gouverne et n’en rechercher ni les sentiments ni les connaissances particulières, mais marcher comme aveugle dans cette providence et confiance en Dieu, même parmi les désolations, craintes, ténèbres et autre sorte de croix, s’il plait à notre Seigneur que nous le servions ainsi ; demeurant parfaitement abandonné à sa conduite, sans aucune exception ni réserve quelconque et le laisser-faire ».